Interview de Shakira pour L'Illustré
Vendredi 4 mars 2016, le magazine suisse L'Illustré à publié une interview de Shakira réalisée le 17 février, lors de la première de Zootopie à Los Angeles.
Découvrez-la ci-dessous.
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1) Prêter votre voix à une gazelle, qui plus est dans un dessin animé Disney, ça manquait à votre CV. Pourquoi avoir dit oui ?
En premier lieu parce que c'est le genre de chose que je suis ravie de partager avec mon enfant de trois ans! Mais l'autre raison, c'est que j'ai tout de suite accroché avec l'équipe et les producteurs. Quand ils m'ont contacté pour ce projet, j'ai été emballée par l'histoire de cette lapine bien décidée à aller jusqu'au bout de son rêve! En l'occurrence devenir officier de police! Je joue Gazelle dans Zootopie, mais quand on a commencé à me parler de cette lapine, je me suis également reconnue en elle. Toute ma vie, je me suis en effet battue pour devenir ce que je suis aujourd'hui. Toute ma vie, je me suis méfiée de ceux et celles qui voulaient briser le rêve en moi de devenir chanteuse ! Je me revois petite imaginer l'inimaginable ! Devenir une artiste de dimension internationale ! Venant de Colombie, le chemin fut escarpin. Mon anglais était en plus lamentable. Mais à force de persévérance, finalement, j'ai atteint mon objectif !
2) Est-il vrai que vous avez contacté les producteurs de ce long métrage d'animation parce que vous trouviez Gazelle un peu trop maigre ?
La première chose que les producteurs m'ont fait savoir, c'est à quel point il était important que je ressemble au personnage auquel j'allais prêter ma voix. Quand j'ai vu les esquisses de Gazelle, la première chose que je leur ai dit c'est : «Vous devriez mettre plus de viande sur cette pauvre Gazelle ! Elle est bien trop svelte à mon sens !». Ils ont donc suivi un peu mes consignes. Et je trouve ça bien. Vous savez à quel point j'ai toujours été l'avocate des courbes généreuses. Je pense aussi que les jeunes filles sont trop influencées par les magazines de mode. Je sais qu'il faut leur parler vrai. Leur dire que toutes ces photos sont retouchées, photoshopées à un point incroyable. J'ai surtout envie de leur faire comprendre que nous devrions être heureuses d'être ce que nous sommes, d'être à l'aise avec nos corps ! L'expérience m'a appris que les hommes aimaient avoir quelque chose à agripper [Rires]. C'est en tout cas ce que me répète le mien! [Rires] Ce qui est un réel soulagement parce que j'ai toujours de la graisse en extra ici et là [Rires]
3) Si vous deviez vous réincarner en animal, ça serait en gazelle?
En gazelle? Non, je ne pense pas. En paresseux, non plus, je suis bien trop speed. En tigresse, pas plus. Je ne suis jamais en mode «attaque». En petite souris peut être pour voir et entendre ce que mes enfants se racontent dans leur chambre.
4) Vous êtes quelqu'un de pugnace, de volontaire. Vous semblez pourtant si fragile...
Je ne jette jamais l'éponge. Je vais jusqu'au bout. Et si je ne suis pas satisfaite du résultat, j'en deviens malade et je recommence tout! Vous savez, je suis Colombienne. Les chances que je perce aux Etats Unis ou ailleurs étaient très limitées sur le papier ! Beaucoup de gens m'ont fait comprendre que je perdais mon temps, que le pourcentage de me voir un jour chanter devant des milliers de personnes était très bas. Heureusement que ma famille était-là pour me soutenir.
5) Parlez-nous un peu de vos détracteurs...
Il y en a eu tellement! A commencer par mon propre prof de musique à l'école. A la minute où j'ai décidé de devenir chanteuse, il a commencé à me mettre des bâtons dans les roues. Un matin, il a décrété que je ne pouvais plus joindre la chorale. Vous savez ce qu'il a trouvé comme excuse? Que ma voix était trop dissonante pour ses oreilles et que mon vibrato était trop marqué par rapport à ce qu'il avait imaginé au début ! Maintenant je vais vous faire marrer, si je vous dis que certaines de mes copines de classe – qui sont toujours mes amies – me balancent encore aujourd'hui que je chante comme une chèvre ! [Rires]. Bref, quand je suis revenue à la maison et que j'ai raconté ça à mon père, il était dans tous ses états. Je l'entends encore me sortir : «Ne modifie surtout pas le timbre de ta voix ! Un jour, tu verras, c'est grâce à ton vibrato que lorsque les gens t'écouteront à la radio, ils sauront tout de suite que c'est Shakira». Grâce à mes parents, j'ai donc pu solidifier l'estime de moi-même. Sans leur soutien, je n'en serai pas là aujourd'hui.
6) Vous mesurez 1 m 57. Vous ne vous êtes jamais dit «Ce n'est pas suffisant, jamais je n'y arriverai» ?
Cela m'a posé un problème quand j'étais plus jeune parce que le regard de mes petits camarades n'était pas toujours très bienveillant. Et puis, un matin, j'ai compris que cette taille pouvait aussi me permettre de bouger, de me déhancher, d'occuper l'espace de façon plus rapide et beaucoup langoureuse qu'une grande tige de 1 m 80.
7) Il faudrait vous reconnaître d'utilité publique!
Il faut arrêter de croire les articles des actrices ou chanteuses qui expliquent la bouche en cœur qu'elles peuvent manger ce qu'elles veulent et quand elles veulent. C'est du pipeau. Moi, je ne suis pas différente des autres femmes. Quand je mange trop, quand je fais un petit écart, la graisse va se nicher au même endroit que les copines : direct dans les fesses et sur les hanches [Rires]. Heureusement que je me dépense beaucoup.
8) Vous pensez avoir en vous des instincts de prédatrice?
J'aurais pu car croyez-moi, le milieu dans lequel j'évolue n'est pas toujours pavé de bonnes intentions. L'industrie de la musique a tendance à broyer les idéalistes. Ce n'est pas nouveau. Le monde fonctionne ainsi depuis la nuit des temps. Vous avez toujours eu ceux qui mangent et ceux qui se font manger. Dans mon domaine comme bien d'autres si vous voulez survivre, il faut avoir une approche agressive et ne jamais quitter des yeux la route que vous vous êtes tracée. Pour ma part ce n'est pas l'agressivité qui m'a permis de durer, non, c'est plutôt mon côté têtu, déterminé, obstiné et surtout discipliné. Sans ces qualités, vous ne restez que quelques mois sur les ondes radiophoniques. Dans mon travail, je ne pense pas être agressive ou prédatrice. Par contre, quand je fais du sport, je sens bien que je n'aime pas perdre. En ce moment je pratique pas mal le tennis, je joue tous les jours. J'ai remarqué que mon jeu était défensif au début. Peut-être parce que je n'ai pas pratiqué beaucoup de sports dans ma jeunesse ! Du coup, la rage de remporter un match ou une partie sont venues avec le temps. Je commence à travailler plus mon revers dans un seul but: gagner. Cela dit, j'ai connu des périodes dans ma vie où je sentais bien que je pouvais sortir les griffes. Jusqu'au jour où j'ai compris que ma pire ennemie c'était moi-même. J'ai mis des années à combattre mes démons intérieurs, à combattre mes propres peurs.
9) C'était comment la vie chez papa-maman ?
J'ai grandi dans une famille de huit enfants - issus de plusieurs mariages - où chacun y allait de ses préférences musicales. A la maison, c'était la cacophonie. On se serait cru parfois dans une boite de nuit [Rires]! Pour ma part, je vouais déjà une énorme admiration pour The Cure, Led Zeppelin, Les Beatles et surtout Nirvana que j'écoutais à fond jusqu'à m'en faire exploser les tympans [Rires]! Comme j'étais la plus jeune, on me pardonnait plus aisément le fait d'avoir un casque sur les oreilles du matin jusqu'au soir. Ma première chanson, je l'ai d'ailleurs écrite quand j'avais 8 ans ! Mon père a été le premier à m'écouter. Je me souviens très bien de ce qu'il a dit. Il conduisait la Renault 4L familiale orange quand il déclara à ma mère: «Tu as entendu cette voix puissante?». Cela remonte aux années 80. Nous allions souvent à la plage et sur le chemin, nous chantions plein de chansons. Mon père a été le premier à croire en moi. Ma mère a pris le relais en m'encourageant à participer à des concours de chants. Lorsqu'elle me demandait si je voulais m'y rendre, je lui répondais que j'avais besoin de réfléchir, qu'il fallait me donner une journée de réflexion. J'avais dix ans et je voulais déjà me faire désirer [Rires].
10) Votre tenue vestimentaire aujourd'hui n'a rien d'ostentatoire. Au fait, c'est quoi la marque de vos fringues?
Zara ! Hispanisante jusqu'au bout comme vous pouvez le constater [Rires]. Vous savez, la célébrité, c'est bon, ça fait chaud au cœur, ça fait du bien. Mais c'est aussi une arme à double tranchant car plus vous regardez en l'air, plus vous avez la tête dans les étoiles, plus les probabilités de vous prendre un mur sont élevées.
11) Vous procurez du rêve à des millions de gamins à travers le monde et pas seulement ceux qui ont la chance de pouvoir acheter votre musique. Je pense en particulier à ces gosses qui vivent dans la pauvreté ou qui n'ont pas les moyens d'étudier...
Je pars du principe que sans éducation, vous ne devenez rien dans la vie. Depuis l'âge de 18 ans, je me bats pour que ça change ! Je me bats pour que des gamines du tiers-monde ou d'ailleurs puissent recevoir un enseignement de qualité. C'est pour cette raison que j'ai décidé de créer ma fondation : parce que je voulais m'assurer de l'avancement de la construction d'écoles. Surtout dans les zones de guerres ou de conflits. Quand vous vivez dans un contexte de violence permanent, vous ne pouvez pas vous concentrer sur vos devoirs. Je suis très fière d'avoir fait partie de la commission initiée par le président Obama. Une commission pour que notamment les latinos vivant aux Etats Unis puissent avoir accès à la connaissance et à moindre coût. En tant qu'ambassadrice de L'Unicef, j'ai vraiment à cœur que l'éducation devienne LA priorité des priorités ! Et ce qu'importe vos origines, votre couleur de peau, votre lieu de résidence. Je suis un kit ethnique à moi toute seule ! Ma mère est colombienne mais elle du sang espagnol, allemand et italien qui coule dans ses veines ! Mon père est un libanais né à New York. Quand on mélange tout ça, ça donne la personne qui est en face de vous aujourd'hui. Un être hybride ravi d'avoir toutes ses influences inscrites dans son patrimoine génétique [Rires]. Dans ma famille, je suis un peu perçue comme une extraterrestre [Rires]. Mes frères et sœurs sont en effet avocat, chirurgien, entrepreneur, etc...
12) Cela fait six ans que vous avez rencontré le footballeur espagnol Gérard Piqué. Avec votre emploi du temps surbooké, vous trouvez encore le moyen de vous voir? Ce n'est pas trop compliqué?
C'est comme être unie à un soldat. La seule différence, c'est qu'il ne meurt pas sur un champ de bataille. Aujourd'hui, j'ai de la chance, Gérard passe le plus clair de son temps à Barcelone. Du coup, il voyage beaucoup moins qu'avant. J'aimerai bien être à ses côtés, là, à Los Angeles. C'est en plus une ville qu'il adore. Mais que voulez-vous, il doit s'entraîner quotidiennement avec son équipe et il ne dispose que d'un mois de congé par an. Le monde du sport, je peux vous assurer qu'il est aux antipodes du mien ! J'ai toujours chanté en solo dans ma carrière, sauf à des rares exceptions. Vivre aux côtés d'un homme qui ne pense constamment qu'à son équipe, ça me fait bizarre. Gérard m'a donc appris à être moins centrée sur moi-même. Il n'y a encore pas si longtemps, j'étais le genre de femme qui lui disait : «Mais pourquoi, on ne s'en va pas ailleurs, pendant quelques temps ?». Et lui me répondait: «Je ne peux pas. J'ai des obligations! Des matches, des entraînements !». Au fil des années, j'ai compris qu'il y avait des codes, des principes à respecter dans le football. Je trouve ça merveilleux. D'ailleurs, je compte bien enseigner ces valeurs du sport à mes enfants. Et ce, même s'ils ne jouent pas au niveau pro !
13) Quelles sont les qualités que vous avez, Gérard et vous, et que vous aimeriez transmettre à vos enfants ?
Je voudrai qu'ils héritent de la compassion que nous avons dans tout ce que nous entreprenons. Qu'importe le métier ou les fonctions qu'occuperont nos enfants lorsqu'ils seront plus grands, qu'importe ce qu'ils décideront de faire de leur vie, nous voulons qu'ils aiment vraiment ce qu'ils font. Etrangement, quand vous rencontrez quelqu'un dans votre vie, les premières années, vous ne voyez pas trop la vraie personnalité de la personne que vous aimez. En ce qui concerne Gérard, il a mis du temps à se révéler. Le jour où notre premier enfant est né, il a montré une facette tendre que je n'avais pas soupçonnée. C'est le genre d'homme qui ne rechigne pas à changer les couches. C'est le genre d'homme qui répond toujours présent lorsqu'il s'agit d'être avec nos enfants ou avec moi. A mes yeux, c'est le rocher de la famille et je peux toujours compter sur lui. Il a dix ans de moins que moi mais quand je regarde bien il a dix ans de sagesse de plus que moi. Je dois admettre que c'est un sacré caractère. Il peut se montrer parfois très impulsif. Mais c'est amusant de vivre avec lui. C'est clair, on ne s'ennuie pas [Rires]! Vous savez, la plus grosse erreur que puisse faire une femme dans sa vie, c'est d'accepter de se rendre dans la cuisine. Une fois qu'elle commence à faire la popote pour tout le monde, il faut qu'elle comprenne qu'elle n'en sortira plus. Le mec qui m'offre un four à pyrolyse, je le fais cuire [Rires]!
14) Vos vidéos sont toujours très sensuelles. Êtes-vous comme ça dans la vraie vie?
Lorsque je suis devant une caméra et qui plus est sur une scène, dès que j'entends de la musique, c'est comme si chacune de mes cellules étaient électrisées par je ne sais quelle puissance venue d'ailleurs. Je suis une latino et comme toutes les latinos, nous avons une connexion très spéciale avec la danse, le rythme, etc. Nous avons la fièvre dans le sang. Nous sommes comme possédées. Pour autant, je suis quelqu'un de très timide dans la vraie vie. Quand je suis dans la rue, je suis quelqu'un de timide. Je ne dis pas que je longe les murs mais presque. Bref, j'ai le sentiment qu'il y a deux Shakira en moi.
15) Quels sont vos rêves, là, tout de suite ?
Hier, figurez-vous que j'ai fait un rêve. Dans ce rêve, je me voyais produire un nouvel album et soudainement, dans l'avion, je me suis retrouvée ensevelie sous une avalanche d'idées. Vous savez pourquoi? Parce que c'était un vol de 12 heures, sans les enfants [Rires]. J'ai hâte de retrouver les studios. Il y a deux mois, je vous aurais probablement dit que je ne ressentais pas l'envie de retourner devant un micro, mais les mois passés, je n'ai pas cessé avec les couches, les biberons et les tétines. Je présume que j'ai besoin de prendre un peu cette distance qui me permettait de me concentrer sur la création musicale. Les concerts me manquent. L'interaction avec le public aussi. J'ai commencé à ressentir qu'une partie de moi-même était en train d'être étouffée. Cette envie, Gérard la comprend. Récemment, nous avons eu une discussion à ce sujet. Il m'a alors dit: «Fais ce que tu as faire ma chérie. Je serai présent pour les enfants». J'étais vraiment soulagée. Dans les semaines à venir, je vais donc me remettre au boulot.